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La ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, a annoncé la suppression prochaine du jour de carence (1) pour les salariés de la fonction publique, en cas d’arrêt maladie. Le secteur privé crie à l’inégalité, lui qui a trois jours de carence, et fustige le soi-disant absentéisme des fonctionnaires.
Mais c’est en réalité plutôt le « présentéisme » qui affecte les salariés français, du public comme du privé. Ils font des horaires à rallonge, et viennent travailler même quand ils sont malades. Dans ce contexte, le taux d’absentéisme, utilisé comme indicateur du climat social en entreprise, est-il un bon révélateur de la santé des entreprises et des salariés ? Réponse avec Thierry Rousseau, sociologue du travail et des organisations à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Il a publié à la fin de l’année 2012 Absentéisme et conditions de travail : l’énigme de la présence (Editions Anact).
L’argument avec le privé n’est pas justifié car entre 60% et 80% des salariés du privé n’ont, au final, pas de jour de carence car leur entreprise les prend en charge dès le premier jour d’arrêt maladie. Le principe du jour de carence, c’est bien d’augmenter le coût d’entrée dans l’absentéisme. Derrière, il y a l’idée que l’absentéisme est un comportement volontaire, abusif. Or l’arrêt de travail est un droit, une compensation aux risques du travail.
J’ai entendu aujourd’hui la Fédération hospitalière de France qui regrette l’abandon de la journée de carence instaurée en janvier 2012 pour les fonctionnaires, parce qu’elle dit que cette mesure a permis de réduire de façon importante l’absentéisme élevé qui frappe les hôpitaux. En plus de faire des économies. De mon côté, j’ai eu connaissance d’une collectivité qui avait évalué les conséquences de l’instauration du jour de carence, pour une durée de 6-8 mois. Elle a conclu à une hausse globale de l’absentéisme, un allongement des durées d’absence et un report sur d’autres types d’absences comme les accidents du travail et les congés pour enfants malades. Certainement parce que les salariés tirent trop sur la corde. Ils savent qu’ils mettent leur santé en jeu mais estiment ne pas pouvoir s’accorder de soupape de décompression.
La France a une culture un peu hystérique de la responsabilité individuelle. Face à un problème, quel qu’il soit, on n’essaie pas de déterminer d’éventuelles co-responsabilités, on se contente de pointer du doigt l’individu en le qualifiant de déficient. Il faut un coupable. Et ce coupable, c’est l’absent. Cette manière de voir les choses suspend toute recherche de causes, tout raisonnement.
Si l’on établit une comparaison internationale, la France est plutôt dans la moyenne, et elle n’est pas la plus généreuse en termes d’indemnisation des malades. Mais la question est difficile car toute absence n’est pas de l’absentéisme (que l’Anact définit comme « toute absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradations des conditions de travail entendues au sens large », ndlr). Prenez un conducteur. Il peut travailler même s’il a une extinction de voix, à l’inverse d’un professeur ou d’un chanteur. Dans un cas c’est de l’absentéisme, dans l’autre c’est une absence.
L’augmentation du chômage va dans le sens d’une pression accrue sur les salariés, c’est sûr. C’est aussi lié à l’accentuation de l’impératif de présence des salariés à leur poste de travail.
Le présentéisme regroupe trois phénomènes : une présence paradoxale du salarié qui est là sans y être vraiment, qui fait acte de présence. Une sur-présence au travail, avec un salarié qui est présent bien au-delà de son temps de travail contractuel. Le fait de venir au travail alors qu’on est en mauvaise santé, soit parce qu’on refuse l’absence, soit parce qu’on estime ne pas pouvoir être absent. Différentes études ont montré que le présentéisme coûte cher, davantage que l’absentéisme. Car les salariés sont moins productifs, donc c’est moins bon pour l’entreprise et sa réputation comme pour la carrière des travailleurs. Si l’absentéisme témoigne d’un dysfonctionnement de l’entreprise, le présentéisme empêche cette prise de conscience, et donc de modifier ce qui ne permet pas aux salariés de rester en bonne santé. Surtout quand on pousse au présentéisme par des obligations ou des primes à la présence et par des systèmes d’auto-contrôle, d’auto-surveillance au sein des collectifs de travail.
L’absentéisme révèle plusieurs phénomènes à la fois. Sanitaires, donc liées à des pathologies naturelles, ou dues au travail ou au sur-travail. Il manifeste aussi la capacité d’engagement du salarié. Un salarié à qui on demande d’être très polyvalent, qui se sent interchangeable, anonyme et qui n’a pas la possibilité de faire valoir ses compétences, sa créativité. Il perd l’attachement à son travail. Il sait que son absentéisme n’aura pas d’impact sur sa propre charge de travail et donc se sentira plus facilement autorisé à s’absenter. Il y a donc dans l’absentéisme une dimension liée à l’engagement dans son travail, au sens que l’on donne à son travail. En cela, au-delà de la dimension comportementale de l’absentéisme, il faut s’intéresser à comment l’environnement de travail favorise ou non la présence des salariés.
(1) Soit le délai avant la prise en charge par l’assurance maladie, sans être rémunéré par son employeur.
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