Depuis plusieurs jours la neige est annoncée dans le département des Yvelines ; j’ai reçu dès mercredi 12h17 un SMS d’alerte météo de la commune où j’habite, indiquant de limiter les déplacements. Ça tombe mal, pour nous le télétravail, ce n’est pas prévu …. Et ça n’a pas laissé que des bons souvenirs….. Ça tombe mal aussi parce qu’on va au spectacle aujourd’hui avec les élèves....

Jeudi - 8h20 : les élèves arrivent. Il fait froid. Ça pique mais ça réveille ! Tout va bien il ne neige pas, tout le monde y croit.
10h : c’est la récré. Il tombe un mélange tantôt pluie, tantôt neige, mais à ce stade, rien de grave : on en a vu d’autres …..
11h17 : l’IEN nous transfère un mail d’alerte météo... Il neige !!! Non... sans blague !... on n’avait pas remarqué.... J’imagine que ce n’est pas la faute de la circo, ils transmettent ce qu’ils reçoivent.....

11h30 : coup de fil de la billetterie du spectacle : le monsieur très gentil me demande, un peu inquiet, si nous allons venir. Je l’espère.... mais j’attends des instructions....
Il est midi. La neige tourbillonne dans la cour, mais fond aussitôt sur le goudron... Les gamins de la cantine vont être trempés.... Je cours après les animatrices pour leur proposer de les rentrer sous le préau fermé, au sec et au chaud pour faire des jeux calmes. Celles-ci sont bien contentes de rester au chaud aussi !
12h20 : 2ème mail de l’IEN qui nous demande de faire rentrer à l’école les élèves partis en bus en sortie scolaire. Zut ! Rien sur les sorties de proximité à pied (pour nous, environ un quart d’heure à pied). Je lui envoie mon plus beau mail pour lui demander si on peut maintenir les dites sorties. Réponse 30 minutes plus tard : oui. Ouf !....

Mes collègues déjeunent et s’inquiètent, la sortie est-elle possible ? « Oui les filles, l’IEN a dit oui. »
Ah mais zut, est-ce que les comédiennes ont pu venir ? Pas question de braver les éléments s’il n’y a rien au bout…. Et puis, si jamais on ne peut finalement pas y aller, est-ce qu’on sera obligé de payer malgré tout ???? On perdrait quand même 280 € !
13h : le téléphone re sonne. C’est encore le monsieur de la billetterie. Il s’inquiète un peu plus car la neige tombe dru. Je le rassure. On vient ! On a l’autorisation. Lui me confirme, les comédiennes sont bien là. Une de mes collègues s’inquiète du déplacement sous la neige ; blessée salement à la cheville mais quand même en classe, elle a peur de chuter et d’aggraver sa blessure. Je la remplace pour la sortie et elle restera dans le bureau à gérer l’école. C’est elle qui assure l’intérim : elle gère grave !

En parallèle, sur le Tchap des directeurs de la circo, ça bingue tout azimut. Les collègues remontent des gens qui veulent partir pour ne pas être bloqués sur la route. Mais toujours pas d’instructions d’en haut... Mais qu’est-ce qu’on fait dans cette galère !….. Un collègue du SNUipp nous informe que la DSDEN va communiquer en donnant l’autorisation de partir à ceux qui habitent loin de rentrer si d’autres font tourner l’école. Il nous explique la marche à suivre. Ouf ! Enfin du concret ! Mais toujours pas de confirmation officielle.....
Je propose à deux enseignants de mon école habitant loin de partir s’ils le souhaitent. Ils déclinent en me disant : "on essaye de tenir, la route est dégagée pour l’instant". Merci les gars ! Respect !
13h43 : enfin ! Un mail du cabinet de la DSDEN….. Incompréhensible …. Arrêté préfectoral….. Bla bla bla …. « Les routes sont praticables, les transports scolaires ne sont pas interdits », mais les parents peuvent venir récupérer leurs enfants à partir de 15h …. Il faut les prévenir ….. KoikoiKesKiDi ? J’ai bien lu ? Le Tchap bingue à fond « Mais comment on va faire ? C’est que pour le 2nd degré ou nous aussi ? » On se sent seul ….. Pourquoi on reçoit toujours ce genre de mail à la dernière minute ? Pourquoi n’y-a-t-il pas plusieurs scenarii prévus en amont ? Moi qui aime l’anticipation, je suis servie !…
Le film s’enclenche dans ma tête …. Mais comment je préviens les parents de mes 286 élèves ….. Je n’ai pas eu le temps de checker ma mailing list, et je dois ouvrir le portail dans 3 minutes. De toute façon, comment je gère seule ? Le téléphone, la sonnette, les parents au compte-gouttes, ah ben non, je ne peux pas les laisser entrer, c’est toujours Vigipirate Alerte Attentats….. Je me vois courir dans les immenses couloirs de mon école pour aller chercher un gamin par ci, un autre par-là (on se croit dans un conte en randonnée....), les parents qui vont râler parce que je ne répondrais pas assez vite à leur coup de sonnette ….. Rhô non, on a échangé nos rôles avec ma collègue, mais elle est blessée …. Pas de temps pour réfléchir à une autre organisation….
Mon cerveau fume …. Et je dis STOP ! Je ne préviens pas les parents ! De toute façon, l’école doit rester ouverte ! Continuité du service public... Les enseignants de mon école restent tous à leur poste cet après-midi même s’ils habitent loin, les élèves habitent le périmètre de l’école. Ils peuvent rester aussi ! D’autant que les trottoirs restent dégagés.

14h : je pars avec les classes en sortie, et en confiance, mon bras droit est là….. Quelle naïve !!! C’est là que l’enfer se déchaîne : le téléphone se met à sonner sans discontinuer ! Les parents veulent savoir comment récupérer leur enfant (« ben non madame c’est à 16h30 »), ou juste savoir si tout se passe bien (« oui oui le chauffage marche nickel, le toit est étanche ») soit s’inquiètent de savoir si l’école reste ouverte jusqu’à 16h30 (« oui oui on ne va pas larguer les gamins sur le trottoir »). Ma collègue qui assure l’intérim commence à se faire lyncher au téléphone par les parents énervés qui, étant allés récupérer le petit à la maternelle veulent récupérer le grand pour éviter des allers-retours (« oui alors on n’est pas en Sibérie non plus »).

Pendant ce temps, à la médiathèque, entre la surveillance des élèves et les messages qui pleuvent sur mon téléphone, je ne vois que 3 secondes de spectacle par intermittence. Dommage... ça avait l’air sympa.... Sur mes messages, je finis par comprendre que mes collègues des 2 maternelles du secteur ont prévenu les parents et ont pu s’organiser pour le départ des enfants. Comment ont-elles réussi ce tour de force ? Dommage qu’on n’ait pas pu échanger avant... Le temps nous a manqué.... Un peu de coordination m’aurait fait du bien.

Ma collègue m’envoie un dernier message : « Attention maman hystérique, très remontée, risque de débarquer à la médiathèque récupérer son gamin !!!! » Ok ! Manquait plus que ça !. Fin du spectacle, on sort de la salle, la dame me saute dessus :

La moutarde me monte au nez, je prends sur moi pour rester zen devant les enfants, les employés ….
Je finis par dire à la dame, pour m’en débarrasser, de récupérer son gamin en m’envoyant par mail immédiatement sa fichue décharge.

15h45 : On réussit enfin à partir pour rentrer à l’école sous la neige.

16h : Je rends ses élèves à ma collègue qui sort de mon bureau épuisée ; elle en a pris plein la tête, même si elle ne s’est pas laissée faire. Ce genre d’événement réveille les pires instincts des gens : les parents c’est comme les enfants, ils détestent qu’on leur dise non.

Une maman sonne et demande en larmes à récupérer sa fille. Je sais qu’elle habite vraiment très loin car elle est en garde alternée avec le papa, je vais donc chercher sa fille. En lui rendant sa fille, la mère se met à râler « oui votre collègue n’a pas été aimable, moi je voulais juste récupérer ma fille, et puis il y a un arrêté préfectoral (décidément tout le monde est devenu expert) et puis ma belle-mère elle travaille au commissariat, elle m’a dit qu’on n’a pas le droit d’empêcher un parent de récupérer son enfant (oui alors des fois si) et puis votre collègue est pas aimable et …. » Elle boucle et reboucle.
Je réponds que je compatis (qu’est-ce que je mens bien....) mais que ce n’est pas tant que ma collègue refusait de laisser partir sa fille mais que celle-ci étant en sortie, il fallait d’abord qu’elle regagne l’école. La dame finit par s’en aller à moitié pas contente. Tant pis …. Je récupère sur le trottoir mes mamans accompagnatrices de la sortie qui attendent leurs enfants à moitié congelées je les mets au chaud dans le hall de l’école, tant pis pour Vigipirate !

Le téléphone sonne sans arrêt : là on est plutôt au stade où les parents appellent pour retirer leurs enfants du périsco, ou indiquer que la voisine, la cousine, la tantine viendra chercher tel enfant en plus des siens …. Pas de souci, messieurs-dames !

16h15 : La sonnette de l’école retentit. Une RPE me demande poliment de récupérer ses enfants ; dans une vision cauchemardesque, je me vois à nouveau courir dans toute l’école pour 15, 10, 5 minutes …. Donc tout aussi poliment, je rétorque à la dame que maintenant, c’est 16h30, vu où on en est. La dame s’en va pas contente. Tant pis.... Pas le temps, le téléphone sonne à nouveau. C’est juré, demain je change la mélodie.... Je ne peux plus la souffrir !
En même temps je lis mes mails ; ce soir ramassage scolaire assuré mais pas demain ; piscine et gymnases fermés... ok....

16h30 : Enfin ! Les classes descendent. Armée de mes post–It, je distribue les messages : alors toi ceci, toi cela …. Je garde les élèves prenant le bus au chaud dans le hall, le temps que l’agent municipal arrive, tout en me concertant avec mes collègues assurant l’étude (pas sous ma responsabilité, mais tant qu’on y est …) et là arrive la cerise sur le pompon du gâteau (oui oui tout ça) l’élève récupéré par sa mère à moitié hystérique à la médiathèque me passe devant dans le couloir pour aller récupérer son cartable en classe …. J’hallucine ! En plus la maman avait juste oublié un petit détail : son fils aîné en CM2 toujours à l’école ! Oups ! Il vaut mieux en rire, ça glisse mieux après….

16h45 : les élèves sont partis ! Ah non ! La garderie a oublié une CP. Bon plus qu’à la déposer avant d’aller prendre mon train... Je ne traîne pas ! En plus il y a mouvement social à la SNCF. Bonne surprise : le train est à l’heure malgré la neige !

18h : Enfin de retour chez moi ! Mais je sais qu’on va avoir un mail d’instructions pour demain. Messages des collègues. Ouf ! Tout le monde bien rentré. Demain matin, on verra l’état des routes.... Le fameux mail arrive rapidement. Les écoles seront ouvertes vendredi, mais pas de transports scolaires. Et sous-entendu : merci de tenter par tous les moyens d’aller sur votre lieu de travail....

LL, directrice en REP.

21 novembre 2024 : chronique d’une journée de directrice sous la neige...

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